La protection de la sauvagine au Canada : le système de surveillance faunique Motus

Par : Scott Henwood, Directeur, Logiciels de recherche

Dans ce billet, je vous parlerai de Motus, un logiciel de surveillance conçu pour aider les chercheurs à suivre la migration des oiseaux grâce à un réseau composé de milliers de radiobalises d’identification et de centaines de stations réceptrices. Motus est une initiative d’Études d’oiseaux Canada, en collaboration avec l’université Acadia.

Pourquoi étudier les oiseaux?

Comme vous l’aurez deviné par le nom, Études d’oiseaux Canada (ÉOC) est un organisme qui s’intéresse à la gent aviaire. Plus précisément, cet organisme s’est donné pour mission de conserver « l’avifaune du Canada à l’aide de principes scientifiques éprouvés, d’interventions concrètes, de partenariats novateurs, de l’engagement du public et de la défense du patrimoine aviaire en se fondant sur des données scientifiques viables. » À l’instar de nombreux projets scientifiques contemporains, l’informatique occupe une grande place dans les travaux que poursuivent ÉOC et ses collaborateurs. Mais j’y reviendrai.

« Pourquoi étudier les oiseaux? » pourrait-on se demander. Eh bien, peut-être à cause de leur importance. En effet, les oiseaux contribuent à la pollinisation des plantes; ils en dispersent les graines; ils dévorent les insectes qui ravagent les cultures, et certains se nourrissent des carcasses d’animaux morts, permettant aux oligoéléments de retourner à la terre. Qu’ils aient un impact direct ou pas sur l’humanité, les oiseaux forment un maillon important dans l’écosystème, et nous pourrions ressentir cet impact.

Il arrive que les oiseaux exercent directement une influence sur l’être humain et ses activités. Quelques espèces, qualifiées de bio-indicatrices, par exemple, sont plus sensibles que nous à certains polluants de l’air. Ainsi, pendant une bonne partie du vingtième siècle, on emportait un canari avec soi dans les mines de charbon, cet oiseau étant très sensible aux émanations de dioxyde de carbone et de méthane. Dans les années 1960, un recul marqué de la population de divers rapaces entraîna le bannissement des pesticides à base de DDT la décennie suivante. En effet, en notant que les œufs des espèces concernées avaient une coquille plus mince, les scientifiques conclurent que le DDT persistait dans l’environnement, s’y accumulant, et que ce polluant organique avait des effets néfastes sur d’autres espèces du règne animal, dont la nôtre. Plus récemment, la mortalité massive des corbeaux en Amérique nous a avertis que la population locale de moustiques était contaminée par le virus du Nil occidental.

Étudier la migration des oiseaux nous en apprend aussi beaucoup sur le climat et le changement climatique, ce qui est particulièrement pertinent de nos jours. Une espèce sensible aux changements de température pourrait débuter sa migration vers le nord plus tôt au printemps et retarder son départ vers les aires d’hivernage australes quand vient l’automne. Dans les cas les plus extrêmes, une espèce supportant mal la chaleur pourrait remonter davantage dans le nord.

Motus : un logiciel pour surveiller la faune

Ainsi donc, suivre les déplacements des oiseaux a son importance. C’est ici qu’entre en jeu le système de surveillance faunique Motus. Depuis toujours, on étudie la migration des oiseaux en baguant certains d’entre eux, c’est-à-dire en encerclant leur patte avec une bande de métal sur laquelle sont inscrits un numéro d’identification et des coordonnées. Cette méthode présente cependant des inconvénients, le principal étant que quelqu’un doit trouver l’oiseau bagué et le capturer le temps de noter l’information. Or, les oiseaux ne s’installent pas toujours dans des endroits d’accès facile pour un humain, si bien que les données de surveillance présentent des lacunes. Pour le pallier, Motus a adopté une approche plus techno.

 

Avec le système Motus, on attache à l’oiseau un petit émetteur appelé « radiobalise » qui lance un signal d’identification unique. La radiobalise peut être collée sur le dos de l’animal ou, si les circonstances l’exigent, être configurée comme un « sac à dos » pour oiseau. Le dispositif est assez petit et léger pour être transporté par une chauve-souris, voire un insecte de bonne taille, dans le cadre d’autres études. Quand un oiseau équipé d’une radiobalise passe à proximité d’une des quelque 300 stations réceptrices Motus disséminées dans l’hémisphère ouest, le signal est capté et enregistré. En regroupant les informations que conservent les stations réceptrices, les chercheurs suivent les déplacements des spécimens qui les intéressent, sur des milliers de kilomètres.

Et ensuite?

Le système Motus a déjà été déployé et on s’en sert pour la recherche, mais ces informations ne sont dans une large mesure exploitées que par des chercheurs qui possèdent les moyens pour gérer et analyser de vastes jeux de données complexes. Une subvention du programme Logiciels de recherche de CANARIE aidera l’équipe d’Études d’oiseaux Canada à créer un portail qui rassemblera les données de toutes les stations réceptrices Motus, y compris les données historiques, afin que plus de chercheurs puissent gérer, analyser et visualiser les déplacements des oiseaux dans leur quête de découvertes.

Grâce à ces fonds, Motus automatisera aussi davantage sa plateforme. Pour l’instant, la plupart des stations réceptrices, qui reposent sur le système canadien SensorGnome, se trouvent à l’extérieur, loin des réseaux de communication câblés. Pour récupérer les données, un technicien doit visiter la station et transférer les données sur une unité de stockage portative. Les créateurs de Motus envisagent maintenant des tests qui détermineront s’il est possible d’accéder à ces stations à distance, par la technologie du cellulaire.

Travailler ensemble

Plusieurs composants du système Motus ont été conçus pour favoriser la collaboration. Une interface de programmation robuste (API) permet à d’autres logiciels scientifiques que Motus d’accéder directement aux données d’ÉOC, ce qui multiplie les possibilités de collaboration avec d’autres chercheurs, au Canada et ailleurs. En plus de cet outil puissant qui vient en aide aux scientifiques, le portail Web de Motus mettra des analyses et des visualisations de données à la disposition du public, à des fins pédagogiques et scientifiques.

Grâce à l’API, l’utilisateur pourra élargir les capacités de Motus en y greffant de nouvelles fonctions d’analyse adaptées à ses propres besoins. Comme c’est le cas pour la plupart des logiciels destinés à la recherche, le code source du portail Motus sera mis à la disposition des intéressés en vertu d’une licence d’exploitation libre. De cette façon, les chercheurs qui souhaitent suivre les déplacements d’un capteur mobile mais ne peuvent recourir directement à Motus n’auront qu’à modifier la plateforme en fonction de leurs besoins, sans avoir à recréer un logiciel de A à Z.
De la science de calibre mondial, bien de chez nous.

Les stations réceptrices SensorGnome qu’utilise le réseau Motus reposent sur de l’équipement et des logiciels de source ouverte. Elles pourraient donc être aisément modifiées afin de satisfaire les exigences de l’utilisateur. De grandes institutions pourraient vouloir parrainer ou déployer une unité SensorGnome, alors que des personnes techniquement habiles pourraient envisager d’en fabriquer une eux-mêmes.

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